2019 / BienVenus sur Maras / Thème : invasion / Recueil / Conquête
Comme dirait Jams Bond : rien que pour vos yeux ! Et de quoi vous amuser quelques minutes, comme quoi SF et humour sont compatibles !!!
Conquête
Le lourd vaisseau de combat ralentit sa course. Moteurs bio-magnétiques réduits, il incurva sensiblement sa trajectoire pour se stabiliser enfin à 28 garfs de la limite de l'atmosphère. Quelques objets célestes le frôlèrent avant de se perdre, insouciants, en orbite lointaine. L'un d'eux, moins chanceux, heurta la carapace noircie avant d'éclater en mille soleils éphémères. Hasard ou coïncidence, une mince ouverture naquit aussitôt entre deux plaques épaisses, telle une fenêtre sur l'espace…
Kraïm, sanglé dans son fauteuil d'astro-maître, laissa la luminosité envahir le poste de commandement. Même pour des guerriers Dagons, habitués à conquérir les mondes, le cérémonial de l'ouverture représentait un instant magique, la fin d'un long voyage mais surtout les prémices d'une action latente. Un pur moment de recueillement ! Devant eux, la planète baignait dans des alternances de bleu et de gris, belle et alanguie comme une promise au soir des noces. Sur la coque du vaisseau, les antennes-dards frémirent.
- Paramètres extérieurs acceptables, lança une voix éraillée.
Kraïm grimaça un bref remerciement à l'attention du technicien combattant.
- Une révolution et un terrain pour contact.
Derrière lui, l'astro-géographe fit un geste rapide, déclenchant le glissement du vaisseau. Tandis qu'il se perdait dans la recherche d'un point de contact, l'astro-maître expédia un bref message au Maître Universel, grand commandeur de la flotte Dagon. Paramètres acceptables, planète de belle apparence, voilà qui conviendrait parfaitement aux milliers de vaisseaux de la mouvance dagonienne et sa perpétuelle soif d'espace. Restait encore la question des habitants : mais comme les dagons n'étaient pas partageurs, leur technologie de pointe leur permettrait une fois encore de balayer les réticences. Kraïm fit une affreuse grimace de plaisir : l'endroit était plaisant, tout allait bien se passer. Comme pour lui donner raison, l'astronef pointa vers le sol, perçant l'atmosphère d'un seul jet brûlant pour finalement poser ses crampons acérés sur une surface de végétation chlorophyllienne presque rase...
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L'endroit avait été choisi par le technicien puis approuvé par l'ordinateur selon les consignes même des dagon-sages : un endroit discret et plat, aisément utilisable et défendable, une bonne réception des transmissions, et en cas de planète déjà colonisée loin d'un gros centre de civilisation mais proche de quelques autochtones. Après les tests d'usage tout le monde sortit du vaisseau. Tandis que les dagoncoys posaient déjà le périmètre défensif, le commando d'interception étudiait la topographie des lieux sur les images de capture.
- Il y a une colonie d'une centaine d'individus. Leur habitat structuré mais succinct indique un degré peu élevé de civilisation. Pas de traces atomiques ni de signes de flux mnémonique. Faible résistance donc, degré 3 sur la graduchelle de Dagonair. Aucune industrie de proximité.
- Préparez-vous, gronda Kraïm, nous allons au contact.
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Le tapis vert était doux à leurs pattes griffues et moelleux par instant. Sans bruit, la petite troupe s'engagea sur un sentier incurvé qui longeait une sorte de mur transparent. La végétation frémissait sous le vent léger tandis que le groupe d'ombres menaçantes progressait rapidement vers les habitats. Sur la droite, une porte rudimentaire permettait d'accéder à un ensemble de haute verdure dans lequel s'agitaient d'étranges formes sombres. L'astro-maître aboya ses ordres : Wryick, contact un. Sans un mot, le désigné franchit l'ouverture puis s'avança, main crispée sur le sabre recourbé qui battait ses flancs. Un peu plus loin, une autre porte fut franchie par un deuxième dagon. A chaque fois, Kraîm se séparait d'un guerrier éclaireur avant d'aller plus loin. En moins de sept dagolutions, il se retrouva seul, presque à son point de départ. Rejoignant son poste de commandement, il enclencha les capteurs de communication. Il était encore tôt pour avoir des résultats. Ses guerriers étaient formés pour observer puis prendre contact de mille manières différentes selon le cas avec la population locale et il savait qu'il faudrait parfois plusieurs centaines de dagolutions avant d'obtenir le moindre retour d'information, bonne ou mauvaise... Et pour le pire, si la situation devenait dangereuse, Kraïm et l'équipe de guerriers d'appoint pouvaient se rendre immédiatement sur place…
Un éclair parcourant le bref espace entre les deux antennes de réception le fit sursauter. Il était en pleine phase de reconstruction, sorte de léthargie permettant à son corps de s'auto-réparer et recouvrer ses forces, et son esprit planait sur des champs de batailles imaginaires, tranchant, éviscérant, étêtant sans cesse. Dans cet état, il n'aimait pas être brutalement rappelé à la réalité car cela lui causait des lancées derrière ses yeux à écaille transparente. D'un geste brusque il repoussa le module d'émission et se dressa, inquiet. Quelque chose n'allait pas, il le sentait dans sa chair. En deux bonds il sortit du vaisseau, interrogeant déjà les dagoncoys. Rien à signaler mais leur attitude était empreinte de nervosité.
- Eux aussi pressentent une étrangeté et ils sont sur la défensive, grogna-t-il.
C'est à cet instant que, derrière lui, les antennes crépitèrent de nouveau et que les premiers hurlements retentirent...
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L'équipe d'intervention galopait sur le sentier et les lourdes pattes griffues soulevaient un maelstrom de poussière ocre. L'astro-maître en tête, le groupe arriva à la première habitation juste à temps pour apercevoir Wryick chanceler puis s'abattre devant eux. Il avait perdu son arme et l'espèce de chasuble qui le recouvrait naguère était déchirée et souillée d'immondices. Malgré leur endurance, les dagons eurent du mal à le relever tellement l'odeur était insoutenable.
- Rapport ! Aboya Kraïm.
- Contact… Contact effectué après période d'observation, bredouilla Wryick. Huit individus. Au début tout s'est bien passé, ils m'ont fait monter dans les feuillus. Palpations, observation, échange de signes. Puis cela a dégénéré d'un seul coup : attouchements, cris, ils m'ont arraché mon arme et m'ont jeté toute sorte de choses, certaines même qui paraissaient provenir de sous eux. Je n'ai eu que le temps de sortir… Il y en a aussi deux qui m'ont mordus, ajouta-t-il en désignant sur sa peau boursouflée plusieurs traces arrondies couleur rubis.
- Inconcevable !
L'astro-maître fit un signe et la troupe s'avança vers le deuxième habitat, sorte de hutte aux parois transparentes. Le deuxième dagon gisait dans l'entrée, corps arqué, bave aux lèvres, main tendue dans un ultime désir de fuite. Derrière lui, à même la terre, des branches cuivrées se tordaient lentement.
- Fonctions vitales zéro, souffla un dagoncoy.
Au troisième enclos, ils trouvèrent les restes du dagon à même la terre, simple pulpe verdâtre en passe d'être absorbée par le sol. Quand l'habitant se dirigea vers eux en hurlant, bras levé, ils ne durent leur salut qu'à une fuite désordonnée mais rapide…
Au quatrième, le guerrier dagon hurlait en se frottant les yeux. Il avait perdu son arme et dégageait une odeur encore plus terrible que le premier.
Il ne restait pratiquement plus rien du cinquième, juste un sabre souillé et un morceau de bras s'y rattachant encore avec fermeté.
Kraïm ordonna le retour au vaisseau. Malgré toutes les précautions prises pour récupérer les autres et revenir à la zone de poser, il perdit encore un combattant, happé brutalement par une sorte de tronc de feuillus issu d'une surface lisse et froide…
- Un autre piège, pensa-t-il amèrement.
Au-dessus des frondaisons, deux cylindres tachetés se balançaient, suivant avec attention leur retraite désordonnée.
- Ils ont même des guetteurs aériens. Décidément, l'attrapoire était bien élaboré, et nous sommes tombés en plein dedans.
En arrivant à l'astronef, ils subirent une dernière attaque, celle d'une unité sol trop rapide mais surtout trop résistante pour eux. Insensible aux armes, chargeant directement le vaisseau et la troupe, elle perça çà et là le blindage tout en éliminant la moitié de ses guerriers. L'astro-maître et le restant de son équipage ne durent leur salut qu'à un décollage précipité
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La belle planète s'amenuisait lentement sur fond d'espace scintillant. En soupirant, Kraïm en détourna le regard avant de s'installer devant son pupitre. Quelques manipulations puis…
« Message de Chasseur 27 / mission galaxie 56 / Planète 4 / Astro-maître Kraîm. Malgré les premières impressions, planète jolie et atmosphère acceptable, il s'avère que cet endroit n'est qu'un gigantesque piège à l'encontre des visiteurs intersidéraux. La population est très disparate et utilise tous les niveaux d'habitat, qu'ils soient aériens, proche du sol ou bien caché dans une masse liquide. Si ses occupants peuvent vivre en paix les uns à côté des autres, il n'en est pas de même avec les étrangers : il s'en suit même une sorte d'émulation ayant comme but final l'éradication de toute civilisation émergente, le tout en utilisant des moyens divers, physiques et psychiques. Les membres de l'équipe contact ont été pour la plus part « éteints » avant même de pouvoir se défendre. Ceux qui ont combattu ont perdu, armement inefficace. Le peu qui s'en est sorti est dans un état pitoyable. Par chance nous avons pu ramener tout le monde, enfin ce qu'il en reste…
Cette planète est donc à fuir. Nous rejoignons la formation par circuit détourné afin qu'« ils » ne puissent nous suivre et donc nous retrouver.
Signé Kraïm, astro-maître Chasseur 27
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A quelques parsecs de là, au cœur de la flotte d'invasion, le Maître Universel, grand commandeur de la flotte Dagon. prit connaissance du message puis gronda :
- Du feu, de la glace, des pièges, du froid sidéral, du méthane, ce système solaire n'a décidément rien de bien à nous offrir. Passons au suivant...
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La porte s'ouvrit d'un seul coup, faisant sursauter l'homme blond installé au petit bureau d'acajou.
- Tu m'as fait peur, imbécile. Tu ne peux pas frapper avant d'entrer ?
Sans un mot, le nouvel arrivant, tout de vert vêtu, se débarrassa d'un coup de sa casquette puis se mit à jurer.
- Il y a quelqu'un qui est venu dans les enclos hier !
- Hein, tu plaisantes ?
- Pas du tout ! Dans la baraque des viperidae, les crotales sont en vrac par terre. L'éléphant est en colère, il n'arrête pas de marteler le sol de la patte. Le rhino a de grandes zébrures sur la corne, comme si il s'était battu avec une camionnette ou bien un truc de ce genre, tandis que le groupe de moufettes me tourne maintenant le dos comme s'il voulait se défendre…
- Tu sens peut-être plus fort qu'eux, répondit l'homme blond.
- Plus qu'un putois, ça m'étonnerait. Et puis je me lave tous les matins. Non, le pire ce sont les bonobos. On dirait qu'ils ont reçu de la visite et que cela ne s'est pas bien passé.
- Étant donné qu'ils ont l'habitude d'« essayer » tous les nouveaux qui se présentent, histoire de les rassurer, le visiteur d'hier n'a peut-être pas apprécié… Il y a du dégât, des larcins, des détériorations ?
- Rien de tel. J'ai fait le tour des enclos, tout est normal.
- Alors aucune inquiétude. Le temps était un peu orageux, les voisins ont même entendu des grondements, comme une masse orageuse qui s'approchait. Le repas va calmer nos pensionnaires et nous ouvrirons comme prévu vers 14 heures...
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L'air était sec et ses déplacements anarchiques soulevaient quelques tourbillons de poussière dans le sentier et aux abords de la mare. Au-dessus des frondaisons, les girafes promenaient leur tête malicieuse tout en reniflant le feuillage. Dans les allées, des enfants rieurs se poursuivaient en criant tandis que leurs parents prenaient quelques instantanés. Dans les enclos, le calme était revenu. L'orage, sans doute la seule explication, pensa l'homme en vert. Assis au bord du bassin quatre, il s'évertuait à lancer des morceaux de poulets dans l'eau, au ras du museau d'un caïman noir impassible.
- Eh bien, tu n'as pas faim aujourd'hui ???
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