MEURTRES EN QUINCONCE

"The number ONE", le plus rare aujourd'hui...



Le premier, donc le plus attachant sentimentalement parlant, mais aussi aujourd'hui pratiquement introuvable (normal, on en a vendu que 2 ! Gag !).

À l'époque, en 2002, je traquais les concours de nouvelles. Je commençais avec internet et beaucoup de choses  passaient encore par les bibliothèques. Je reçus un soir un mail d'une amie me faisant part d'un concours organisé annuellement par la ville de Pau. Il fallait envoyer une nouvelle contenant 6 mots choisis au hasard. Comme la date limite était dans deux jours et que je n'avais pas le temps d'écrire quelque chose de neuf, je choisis alors une ancienne nouvelle dans laquelle je glissai les mots demandés. Quelques temps plus tard, je reçus un appel du responsable m'annonçant que ma nouvelle avait été retenue dans le futur recueil de la ville, et que j'étais invité trois jours durant pour le salon. Je pense que s'il y avait une note à donner à la ville et à  l'organisation de cette manifestation, un 18/20 serait encore faible. Gentillesse, prévenance, efficacité, tout était fait pour nous offrir trois jours de rêve, et ce fut réussi au delà de toute espérance ! Je me rappelle encore ma fierté en entrant dans l'enceinte du salon, arborant fièrement mon badge "auteur" !!! 

Bon, mais je n'étais pas là "que" pour rigoler ! J'avais préparé un ensemble de "plaquettes", des mini recueils de 3 nouvelles par thème : policier / drame, épouvante, Fantastique / SF, que je distribuai à chaque maison d'éditions en fonction de ses sujets de prédilection. Comme disait le pêcheur, les appâts étaient lancés, il ne restait plus qu'à ferrer... si cela mordait (autrement mes illusions seraient des truites ?!). Je rentrai le dimanche soir, après avoir effectué la tournée des tables, distilleries et autres attractions de la belle citée d'Henri 4 (celui qui fut écrasé par une Cadillac, lui même écartelé par une 4 cv, disait l'un des cancres de Jean-Charles). Coup de fil vers 20 h, le destin était en marche. Alexandre, directeur des éditions Pimientos, me proposait de m'éditer !

Nous nous rencontrâmes à mi chemin entre Bordeaux et Urrugne pour mettre sur pied le projet. Le recueil sortit en mars 2004. Huit nouvelles centrées sur Bordeaux dont "Rédemption" (1er prix Pauillac 1999 et "Le second souffle", 1e prix Bergerac 2001). Un peu de pub, quelques séances de dédicaces dans le coin et c'était parti !


Extrait...


Vapeur du passé...


François essuya une seconde fois le verre ballon, glissant délicatement le chiffon à l'intérieur afin d'en ôter les ultimes traces d'eau. Il contempla le résultat à la lueur des néons : pas brillant ! Le terme était plus qu'approprié ! Malgré un astiquage en règle, il subsistait toujours sur la paroi interne deux ou trois taches blanches et rondes, un résidu de calcaire incrusté dans la matière. En soupirant, il reposa le verre, pied en haut, sur un napperon brodé disposé à cet effet derrière lui sous les étagères à alcool.

- Décidément, tu ne seras jamais un barman réputé, roi des cocktails et prince de la pression, lança-t-il à son reflet dans la glace. Heureusement que la clientèle n'est pas difficile. Il est vrai que le café des « Girondins » n'est pas un haut lieu touristique. A part les vieux cheminots et les rares passagers en transit, on n'y voit guère de monde, surtout après vingt-deux heures un samedi soir...

Il sourit en replongeant les mains dans l'eau froide, à la recherche d'un autre verre. Ce remplacement hebdomadaire lui permettait de gagner un peu d'argent, juste de quoi emmener Sophie au cinéma le dimanche après midi... Son cœur se réchauffa à cette idée. Sophie lui plaisait ! Dimanche dernier, ils étaient allés voir un film d'amour, au cinéma «Couzinet », cours de la Marne. Pendant la séance, il avait glissé son bras derrière sa nuque... Elle ne l'avait pas repoussé... Demain, au « Max Linder », ils passaient « La belle de Cadix », le nouveau film de Luis Mariano. Cette fois, il l'attirerait vers lui afin de goûter ses lèvres sensuelles et charnues, gonflées comme deux petite framboises juteuses... Son regard balaya la petite salle enfumée, s'arrêtant à peine sur les quelques consommateurs épars. Un jeune couple, enlacé sur la banquette de moleskine, traçait des plans sur l'avenir tout en s'embrassant à pleine bouche. Derrière eux, un homme, gabardine entrouverte, sirotait un demi en consultant un vieil horaire froissé. A gauche, vers le fond, les joueurs de belote septuagénaires achevaient leur première manche. Leurs gestes étaient secs, leurs mains ridées frappaient la table en cadence, se défaussant de mauvaises cartes ou bien abattant leurs atouts en riant d'aise. Ils partiraient vers minuit, il serait alors temps de fermer...

La porte s'ouvrit tout à coup, faisant tinter la clochette de laiton au bout de son support incurvé. Un vent froid souleva les fins rideaux de toile « Vichy », les soustrayant durant quelques instants à l'emprise des vitres embuées. Le nouvel arrivant porta deux doigts à la visière de la casquette et lança une sonore « Salut la compagnie » avant de s'accouder au zinc. Tout en lavant une tasse, François lui octroya un sourire commercial.

- Deux p'tits blancs secs ! demanda-il d'une voix rauque.

François déposa deux verres évasés sur le comptoir. D'un coup sec de l'ongle du pouce, il fit sauter le bouchon de plastique transparent obturant la bouteille à étoiles et remplit à ras bord les deux récipients. L'homme s'empara du premier et le déposa délicatement à sa gauche. Il porta le deuxième à ses lèvres et aspira goulûment le vin jaunâtre...

Denis Julin - Littérature, nouvelles et polars
Tous droits réservés 2019
Optimisé par Webnode
Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer