Les murs de silence

7e enquête du capitaine Brunie (qui est monté en grade et passé commandant de police). Nous effectuons une plongée dans le temps : la Haute-Vienne, Limoges, Nexon sous la botte allemande.

Suite au décès de plusieurs retraités, Brunie va fouiller dans leur passé et découvrir une étrange similitude qui le conduira à enquêter sur leurs propres géniteurs. Propre, le mot n'est pas vraiment approprié, ces derniers n'ayant pas fait preuve d'une conduite exemplaire lors de la deuxième Guerre Mondiale...

Déterrant des secrets enfouis sous le sable du temps, Romain exhumera petit à petit une terrible histoire d'or datant des années d'occupation, où trahison et cupidité allaient de pair...

Mais aussi une extraordinaire histoire d'amour sur fond de débâcle...

Quand le bien et le mal deviennent briques et mortier des murs de silence...

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Les murs de silence (2 extraits) :

...Ici cela devient de pire en pire. La Résistance s'organise et s'enhardit. Elle s'attaque même aux convois ferroviaires blindés et harcèle les transports qui parcourent le Limousin. Hier encore, 4 morts sur la route de Périgueux. Curieusement, mon camion est toujours épargné, peut-être parce que désormais je ne ravitaille plus les postes allemands, mais les camps de prisonniers autour de la ville. À moins que les rebelles n'aient peur de moi ? Début janvier, lors de l'attaque-surprise d'un transport de troupes, je me suis jeté au-devant des balles. C'était le lendemain de la mort de Gerhard. Peut-être voulais-je finir en beauté, trouver dans l'oubli une finalité à cette guerre, ou bien une mort honorable ? Quoi qu'il en soit, mon attitude dérouta nos adversaires et je pus mettre les quelques maquisards en déroute. Cela me valut l'Eisernes Kreuz, la croix de fer deuxième classe, pour acte de bravoure face à l'ennemi, ainsi que la nomination au grade d'unteroffizier... Je fus décoré sur le front des troupes, sur la grand-place de Limoges, et je faillis vomir face à toute cette mascarade. Cela ne me ramènerait jamais mon camarade ni toutes les innocentes victimes de cette guerre maudite... Mais je saluai, par respect pour eux.

Il y a plusieurs camps d'internement autour de Limoges. Mais mon travail ne consiste qu'à ravitailler ceux de Saint Paul et celui de Nexon. Ravitailler ! Un bien grand mot pour les quelques marmites et miches de pain insuffisantes à maintenir en vie les 1200 détenus. Quant aux 400 gardiens français qui les surveillent, c'est autre chose. Certains sont gras comme des moines, car ils ont leur propre source d'approvisionnement. Pour parachever le tout, ces camps se situent aux abords d'une gare, ce qui permet un embarquement rapide et discret vers les camps d'extermination étrangers. Et tout cela sous l'égide même du gouvernement de Vichy, subordonné au maréchal Pétain, devançant les lois antisémites concernant l'élimination des populations indésirables. Ici, ce ne sont pas les allemands qui tuent, ce sont des français !

L'opprobre est partout. Je ne cherche plus à comprendre, juste à survivre. Et conserver encore au fond de moi cette minuscule étincelle d'humanité qui me sépare de l'animal... Mais pour combien de temps encore ???

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...Ils débouchèrent dans un petit parking souterrain. Deux voitures patientaient dans l'ombre. Le père Heinrich les contourna puis s'approcha d'un curieux engin.

- Mais c'est un...

- Un side-car, Ya ! Nous aimons beaucoup cette sorte d'engin par chez nous. Pratique, confortable, ne consommant pratiquement rien, c'est l'idéal pour circuler dans Berlin. Installez-vous !

Romain contempla le véhicule. Trois roues, peinture vert armée, il avait l'air en bon état malgré quelques bosses sur le panier. Le siège était confortable et il avait de la place pour étendre ses jambes. Le casque était juste un peu grand. À ses côtés, le prêtre avait enfilé une sorte de bol sur son crâne argenté puis posé une paire de lunettes Climax sur son visage.

- Vous êtes prêt ?

Sans attendre de réponse, il démarra, passa une vitesse puis ouvrit les gaz. Le side bondit en avant, manquant de peu de taper dans le mur. Romain, surpris, enroula ses doigts autour de la poignée en acier.

- Ach ! Embrayage trop dur, jura Klaus.

Il sortit du parking comme une balle, juste sous le nez d'un chauffeur de taxi qui pila pour éviter la collision. Le temps qu'il actionne le klaxon, l'étrange équipage était déjà loin. Au carrefour, le prêtre ne ralentit même pas. Il vira sur la droite d'un grand coup de guidon. Le panier se leva à 45 degrés. Romain faillit hurler de peur, mais déjà, d'un habile coup de gaz, le conducteur reposait la roue au sol. Ce qui ne le découragea pas de dépasser les 80 à l'heure dans la ligne droite, doublant de droite et de gauche les véhicules qui le gênaient.

- À Berlin, ils roulent comme des escargots. Pareil chez vous ?

Romain ne savait plus quoi faire. Blotti au fond du siège, les pieds arc-boutés sur les parois du panier, il suivait avec effroi les évolutions de l'engin. À un moment, le père Heinrich leva le bras :

- Porte Brandebourg ! Au fond !

Romain leva les yeux. L'imposant monument barrait l'horizon. Symbole de la liberté retrouvée, il avait durant presque 30 ans fait partie intégrante du mur de la honte séparant l'est de l'ouest. Mais le temps de se dire tout cela, le side arrivait sur des travaux. Une tranchée s'ouvrait dans la chaussée et la route se rétrécissait en une voie unique. Cela n'empêcha par le prêtre de continuer à la même vitesse.

- Attention ! On va...

À l'instant où la roue du panier allait plonger dans la fosse, le conducteur donna un petit coup de guidon. Comme au départ, Romain se retrouva suspendu à un mètre du sol, en équilibre. Sous lui il voyait passer les tuyaux et les plots de béton...

- Ici à Berlin, ils commencent les travaux, mais n'ont pas toujours l'argent pour les finir. Alors on se retrouve avec des tranchées ouvertes sur deux ans. Pareil chez vous ?

Il y avait un petit muret qui séparait deux tranches de travaux. Klaus y reposa soudain la roue sans varier sa vitesse.

- On passe plus vite, dit-il en souriant, mais c'est fatiguant de tenir panier levé.

Il le fit encore sur une vingtaine de mètres. À la fin du chantier, il reposa la roue puis vira à gauche dans une ruelle. Deux virolos plus loin, ils débouchaient à vive allure sur le pont Marschall. Le prêtre en profita pour faire une belle queue de poisson à un taxi beige qui, comme le premier, pila et se mit presque en travers.

- Je vais mourir ! Je vais mourir ! pensa Romain en serrant encore plus fort la barre de maintien.

Les rues s'étaient rétrécies, mais la vitesse demeurait constante. Klaus vira encore une fois à gauche puis à droite.

- Hôpital de la Charité. J'y donne parfois l'extrême onction. Nous sommes arrivés !

Il tourna brutalement entre deux plots en béton puis bloqua les freins, déclenchant un dérapage qui les amena à la porte d'un petit jardinet fleuri. Toujours souriant, il ôta ses lunettes et son casque puis s'avança vers l'entrée. Voyant que Romain ne suivait pas, il s'inquiéta un peu.

- Vous attendez quelque chose, herr Brunie ?

- Oui, répondit Romain d'une petite voix, une barre à mine pour détacher mes doigts de la poignée... Pareil chez vous ?

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Denis Julin - Littérature, nouvelles et polars
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