Tout doit disparaître
L'idée de départ était bonne : créer un recueil de nouvelles écrites par les 4 compères de la collection Rouge nuit des éditions Pleine Page. Par ordre alphabétique : Christian Cétois, Philippe Cougrand, Didier Harribey et moi-même. Nous avions déposé chacun 3 nouvelles, ce qui portait le total à 12...
Au final, un ratage total ! Non pas parce que les nouvelles n'étaient pas bonnes, mais simplement parce que la personne qui s'en occupait, Zineb, jeune embauchée comme attachée de presse, s'était permis d'outrepasser ses droits et de modifier de son propre chef les textes !!!! (Pour la petite histoire, elle fut priée d'aller proposer ses "sévices" ailleurs, ce qui occasionna pour la maison d'éditions un passage au conseil des prud'hommes où Zineb se fit bananer !)
De ce fait, les textes ne correspondaient pas à l'origine, ce qui nous mit en colère, nous les auteurs. De plus, cette personne estimait qu'il fallait "produire" chaque mois. S'en suivit donc une profusion de livres qui s'entassèrent dans le dépôt, faute de vente, affaiblissant fortement la santé de la maison. Bref, du n'importe quoi !!!!!
Il y eut quand même quelques ventes, mais insuffisantes pour lancer le livre.
C'est la première fois que je parle de ce "vilain petit canard", qui au final méritait mieux qu'une attachée de presse trop imbue d'elle même. Je le donne à ceux qui achètent plusieurs livres.
Il m'en reste quelques exemplaires, sauvés du pilon. Une rareté !!!
Extrait
BLUE
Paris / 24 juin 1973
Il est trois heures du matin. J'hésite à ouvrir les yeux car je sais qu'il n'y a rien d'intéressant à voir autour de moi. Rien qu'un sol terne encerclé de quatre murs lépreux, rien qu'un plafond sinistre dont la peinture s'enfuit en de grands lambeaux clairs. Rien qu'une fenêtre grillagée couleur de rouille et un peu d'air tiède qui filtre malgré tout à travers le tamis de son armure. Rien qu'un lit fatigué recouvert d'un drap rêche et d'une couverture pelucheuse... Une couverture ! En plein été ! L'Administration conserve dans son règlement intérieur certains paradoxes qui poussent à la dérision...
Il est trois heures. Il y a quelques minutes, le beffroi a lancé sa plainte claire dans le ciel empesé de chaleur nocturne. Un hibou a brièvement hululé en survolant les pierres noires de l'édifice puis s'en est allé traquer une musaraigne aux yeux rubis... Il n'y a rien à voir et pourtant j'ouvre les yeux. La pénombre habille chaque recoin de la pièce d'un manteau de mystère. Une timide corolle marque le sol près de la porte, une veilleuse pour enfant malade, un garde fou pour adulte désespéré. Mon regard erre sur les ombres tandis qu'un parfum de chèvrefeuille tiède s'insinue dans ma mémoire, rallumant la flamme des souvenirs... Blue ! Malgré ces deux années écoulées, je me rappelle jusqu'au moindre détail de ce jour de juin, ce jour où elle m'est apparue pour la première fois...
* * * * * *
Il faisait au moins quarante degrés sur la terre battue, devant le hangar habillé de rouille. Debout contre la tôle surchauffée, je m'efforçais depuis dix minutes d'extraire la culasse récalcitrante d'un vieux moteur de DS dont la carrosserie partait en lambeaux. La sueur baignait mes yeux, coulant en de chaudes rigoles dans mon dos et sur mon ventre. Je ne sais pas comment elle est arrivée jusque là sans se faire mordre par le chien de Freddie, mais tout à coup j'ai senti sa présence, juste derrière moi. Posant la cale de bois et le lourd marteau d'acier, je me suis redressé et me suis tourné vers elle. Et là j'en ai pris plein les yeux ! Une bouche sensuelle, des yeux bleu pâle comme la menthe claire, avec de grands cils qui caressaient l'air à chaque battement de paupières, une chevelure brune aux mèches savamment ordonnées, un corps de magazine voilé dans une robe couleur mer du sud, comme cousue sur elle. Durant un instant, je n'osai remuer, de peur de troubler l'atmosphère épaisse et de chasser ce divin mirage. C'est elle qui brisa le silence, après quelques secondes passées à m'observer de près.
- Vous êtes Michel Garnier ?...