Sans écrits vains

9e enquête de Romain Brunie. Il était temps de plonger un peu dans les coulisses des salons littéraires, des éditions, histoire de révéler quelques secrets peu avouables. Comme toujours, une histoire de passion, au delà de la folie parfois, un entrechat sur l'étroite ligne qui sépare la vérité du mensonge, la vie de la mort, la raison du délire... Retour des personnages bien connus des lecteurs et, comme d'habitude, je vais vous prendre doucement la main, vous endormir un peu puis vous emmener à un endroit totalement différent des vos pensées... Mais ce sera, comme d'habitude, pour votre plus grand plaisir.

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Quatrième de couverture :

Vent de panique chez les gens de lettres ! Une main inconnue les décime un par un. Que ce soit à leur domicile ou bien au milieu d'un salon littéraire, elle agit sans faiblir, s'inspirant avec ironie du titre de leur dernier ouvrage.

Mais quel est son but réel ?

Brunie, une fois de plus en charge d'une enquête déroutante, va vite flairer une piste le conduisant à un homme aigri...

Mais comment distinguer le réel du fictif ? Peut-on lutter contre un fantôme pour qui la mort des autres n'est qu'un moyen d'arriver à la concrétisation de ses rêves les plus fous ?

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Allez, un petit extrait histoire de vous allécher un peu...

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...La vieille femme était à demi-inclinée, presque couchée sur un clavier de machine à écrire, une Japy Script des années 50. Ses bras flétris pendaient le long de son corps tandis que les jambes étaient bien rangées sous la chaise de bureau, entre les montants. On aurait pu croire qu'elle dormait si ce n'était la présence incongrue de cette hachette au manche rouge dont le fer lui traversait la coiffure. Le coup avait été porté par-derrière avec une violence telle que l'instrument avait presque partagé le visage en deux. Détail sordide, sous le choc, le dentier était sorti de la bouche et avait atterri contre les touches d'acier, à la limite du capot, comme s'il voulait manger le ruban bicolore. La mort avait été instantanée, vu le peu de sang qui poissait la table.

- Qui utilise encore une machine à écrire à notre époque ? demanda Pateaud.

- Quelqu'un qui n'a pas les moyens d'acheter un ordinateur ou bien qui ne se sent pas à l'aise avec cette technique. Qu'est-ce qu'elle écrivait ?

Il s'approcha doucement. En deux secondes, il sortit son portable puis prit une photo de la feuille coincée entre la barre métallique et le rouleau. Il lut.

- On dirait qu'elle était en train de nous pondre un bouquin.

- Oui, et les premières pages sont là, chef.

Pateaud lui tendit une chemise contenant quelques feuillets. Sur la couverture, quelques mots et un intitulé : « Déterrez la hache de guerre » par « 2M2B ».

- Titre de circonstance, sentencia Romain…

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Le voisinage proche se résumait à une maison avec clôture mitoyenne. Après la levée du corps, Pateaud et Brunie s'y dirigèrent en quête d'informations. Nul besoin de sonner, le couple qui l'habitait s'était installé sur la terrasse de devant, sous un parasol, à l'arrivée de la police, histoire de ne rien perdre de l'agitation. En voyant s'approcher les deux hommes, le vieux se leva pour entrebâiller le portail.

- On n'a rien vu, attaqua-t-il d'entrée.

Derrière lui, placée en appui logistique, sa femme guettait la conversation, prête à soutenir son bonhomme en cas de dérapage. Au bout de cinq minutes, Brunie connut l'essentiel. Les rapports entre la victime et eux s'apparentaient plus à une guerre de tranchées plutôt qu'aux séances quotidiennes de thé / Petits-beurre. L'arrière garde, voyant même qu'il n'y avait pas de danger, s'extirpa avec peine de son transat pour ajouter son grain de sel à la conversation.

- Une râleuse, fulmina-t-elle avec dégoût. Toujours en train de critiquer le maire, les flics, les passants. Son chat venait chaque matin pisser dans nos légumes. Elle ne nous aimait pas.

Si le fait que son matou finisse empaillé avait un quelconque rapport avec ces voisins-là, la rancœur de la vieille était compréhensible, pensa Romain.

- Elle recevait ou bien sortait souvent ?

- Pensez-vous ! Personne ne venait la voir, sauf son fils chaque mercredi. Quant à sortir, ah ça ouiche ! Presque chaque fin de semaine. Elle se prenait pour une écrivaine, une grande comme la Dame au camée, là. Le samedi ou le dimanche, il n'était pas rare d'entendre sa Clio démarrer de bonne heure pour aller à un salon littéraire histoire de vendre ses trucs. Cela réveillait à chaque fois mon pauvre Edmond.

Le pauvre Edmond, l'œil chassieux, accompagna ces paroles d'une moue désespérée. Pateaud réfréna avec peine un éclat de rire.

- Et elle rentrait tard en gueulant après son chat. Tout ça pour écrire des « e-paulards » qu'elle disait, comme si un bouquin où qu'on tue des gens pouvait intéresser quelqu'un.

- Vous n'avez rien remarqué, samedi par exemple ?

- Ben non. La journée a été calme. On a écouté Vincent Pierrot sur RTL le matin, on a déjeuné, une sieste puis la chaîne info. Et vers 19 h, on suit Nagui avec « n'oubliez pas les paroles ».

- Moi j'ai jardiné un peu dans l'après-midi.

Quel programme ! La houri regarda son bonhomme comme s'il venait de proférer une énormité. Il ne devait pas s'amuser tous les jours, celui-là. Romain s'attendait à une révélation, mais…

- Mais j'ai rien vu non plus.

Entrevue terminée ! Les deux policiers s'éloignèrent avant que le couple ne leur pose des questions trop indiscrètes. Brunie remonta dans le véhicule de service, songeur.

- Nous n'avons rien, ou si peu. Aucune trace d'effraction, la vieille a certainement ouvert à son meurtrier. Si, vu la chaleur, elle lui a offert à boire, il n'en reste aucune trace. L'outil parlera peut-être… On va attendre le résultat de l'autopsie. Mais en attendant, on va confier le bébé à Beletout, histoire qu'il fouille un peu le Net.

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Au Central, c'était l'effervescence. Brunie débarqua en plein déménagement. Les bureaux du plateau encombraient les allées, rendant toute progression impossible. Dans un angle, Lacheize, découragé, s'éventait avec un dossier.

- Le nouveau Principal a décidé de nous changer de place, expliqua-t-il. Les chefs de groupe seront désormais au fond, près des fenêtres. Et nous, on ne se place plus par groupe, on s'intercale autour d'une allée centrale, par ancienneté.

- Mais c'est une vaste connerie, s'écria Romain. Comment allons-nous effectuer nos briefings ?

- Vous irez dans la grande salle, gronda une voix derrière lui.

En se retournant, il se retrouva nez à front avec Hachet, dont le regard brillait de colère.

- Et les exposés ? Et notre tableau d'affichage ? On va le déplacer à chaque fois ?

- Vous prendrez une photo et vous la projetterez sur l'écran, rétorqua le Principal. C'était comme ça à Lens. Vous avez quelque chose à redire, commandant ?

Brunie faillit rétorquer que les résultats annuels de Limoges dépassaient de loin ceux de Lens, et que l'organisation du personnel y était sans doute pour quelque chose, mais il se tut. L'heure n'était pas à l'affrontement, pas encore.

- C'est vous qui décidez, Monsieur.

Du coin de l'œil, il intercepta un signe de connivence entre deux lieutenants d'un autre groupe. Quoi que le principal décide, il semble que la riposte était déjà programmée… En quelques enjambées, il s'approcha du bureau de Beletout, en transit près de la porte. Le pauvre ne savait plus dans quel sens diriger ses efforts. Il le briefa rapidement sur leur visite matinale, donnant déjà ses consignes pour la recherche informatique.

- Fais cela le plus vite possible, conclut-il

- Dès que j'aurai trouvé un emplacement pour m'amarrer et une prise pour me connecter, répondit le geek, l'air désespéré. Parce que là, je suis à la dérive...

Brunie consulta sa montre. Midi ! Devant le bordel imposé par le principal, une seule solution immédiate : prendre du recul.

- On va tous déjeuner, ordonna-t-il à son staff.

§ § §

Vers 16 heures, la situation tendait à se clarifier, selon « bison buté ». Bien que l'axe nord-sud soit encore encombré par un bureau en panne de roulettes, la majorité des meubles avait réussi à gagner les nouveaux emplacements. On dénombrait bien de-ci de-là des morceaux de bois ou de plastique sur le sol, ultimes témoins de collisions ou de frottements, mais dans l'ensemble, les voies de communication étaient praticables. Les écrans fleurissaient comme des pâquerettes dans un champ printanier au fur et à mesure de la découverte de nouveaux gisements électriques. Bref, la nouvelle organisation exigée par le Principal était en place. Seules rescapées du grand chambardement, les affaires stagnant sur les rebords de fenêtre, dossiers et appareils électriques. De son emplacement, la cafetière, elle, se désintéressait de tout cela, l'air de celle qu'a fait la guerre et ne va pas en faire des cas, même si elle en avait marre.

- Finissez de vous installer, ordonna Brunie à ses hommes. On reprendra tout cela demain.

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Denis Julin - Littérature, nouvelles et polars
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