2024 / BienVenus sur Mars / Thème : le chaos / Recueil / Im-monde parallèle.

Un petit truc sympa auquel je participe de temps à autre. J'avais déjà été publié dans leur recueil en 2019. Rien à gagner, aucun prix, on participe juste pour le fun !!!


Im-monde parallèle

La Golf tourna rapidement l'angle de la rue, empiétant un peu sur la ligne blanche. Derrière le volant, son conducteur pestait en continu.

- Saloperie de conseillère !

Il jeta un regard inutile vers la valise renfermant ses échantillons, ce qui décupla sa rage.

- Un mois ! Un mois à planter soigneusement les jalons me conduisant à cette énorme commande, et au dernier moment…

Il préféra se taire. Inutile de revenir sur le sujet, la vente était ratée, et un gros pourcentage lui passait sous le nez.

- Ah, là c'est le bouquet ! jura-t-il soudain.

Un panneau de déviation barrait la rue. Derrière, une pelleteuse mécanique squattait le trottoir, devant une tranchée béante. Le chauffeur tourna sur sa gauche, suivant les indications. Au bout de cinq minutes, il était perdu. En désespoir de cause, il s'engagea dans une ruelle peu éclairée. Les cahots dus au mauvais revêtement mettaient la suspension à rude épreuve. Un paquet de mouchoirs en papier tomba du vide-poche, accompagnés par un carnet de bons de commandes vierge. Penché sur le volant, l'homme cherchait à percer les ténèbres que les phares avaient du mal à combattre. Il déboucha sur une autre rue, puis encore une autre.

- Perdu, je suis perdu ! ronchonna-t-il tout en scrutant l'asphalte.

Soudain son visage s'éclaira d'un sourire. Les murs s'écartaient pour laisser place à un square, un parking allongé et un bloc de béton dont le haut se perdait dans la nuit. Il reconnut son immeuble.

- Ah ! Enfin chez moi !

Il gara la voiture sur l'un des rares emplacements libres. En prenant pied sur le bitume, il respira un grand coup d'air frais. S'emparant de sa veste et de sa sacoche, il claqua la portière, actionna la fermeture centralisée puis fit deux pas vers l'entrée. Une intuition étrange le fit se retourner. Le parking était encombré d'autres véhicules, mais ceux-ci accusaient dans l'ombre des formes désuètes. Il s'approcha, curieux. Une Simca Chambord dormait sagement. À ses côté, une 403 Peugeot attendait le matin. Plus loin, une Frégate Amiral, derrière elle, une traction noire… Aussi loin que portait son regard, on ne voyait que des voitures d'après guerre. Où étaient donc passées les voitures modernes ?

Il pénétra dans l'immeuble, poussant simplement la porte vitrée. L'absence de digicode ne le perturba pas, préoccupé qu'il était par la récupération de son courrier. Mais il eut beau chercher, aucune boîte n'affichait son nom. Il les passa toutes en revue, en vain. Préoccupé, il pressa le voyant d'appel de l'ascenseur, juste avant de découvrir la pancarte « En panne » qui barrait la porte.

- Charmant ! 4 étages à pied !

Il monta lentement, son esprit supputant déjà les commentaires de son patron suite à la non vente de la journée. Il allait devoir se rattraper rapidement, sinon... Au quatrième, la lumière était chiche, la faute à une ampoule solitaire. Il tenta d'ouvrir la porte d'entrée. La clé tournait avec peine, comme d'habitude, mais elle ne dés-enclenchait pas la gâche. Il força. Le battant s'ouvrit brutalement sur un couloir sombre. Il accrocha sa veste à une patère puis éclaira la salle à manger. Le temps d'un regard circulaire et il prit connaissance de l'impensable. Le salon ne ressemblait pas au sien. Les meubles dataient d'une cinquantaine d'année. Il y avait un parquet vernis, des fauteuils à oreillettes, plusieurs tapis à frange blanche, deux abat-jours en peau, et une multitude de portraits au mur. Seule concession au modernisme, une télévision posée sur une table à roulettes en formica noir, un monstre comme on en faisait plus, avec un tube cathodique proéminent et des boutons en bakélite jaune. De stupeur, il s'assit.

- Mais où suis-je tombé ?

Son esprit triait les informations sans arriver à une cohésion d'ensemble. Faisant la corrélation entre le parking et ses étranges locataires, il en arriva à une terrible constatation.

- Je suis dans un univers parallèle...

Le fait n'était pas impossible. Certains auteurs de SF avaient habilement exploité ce sujet. Il avait lu plusieurs ouvrages de ce type et en était arrivé à la même conclusion : même si ce phénomène incarnait les prémices du chaos, il était plausible. Fort de cette démonstration, il se dirigea vers la cuisine. Son percolateur dernier cri avait fait place à une cafetière italienne à moka en alu brossé. Comment cela fonctionnait-il ? Renonçant, il revint vers l'entrée.

- Comment vais-je sortir de là ? se demanda-t-il soudain.

Le passage par les rues en travaux avait certainement déclenché le processus. Une seule solution, refaire le chemin à l'envers…

Il sortit, juste à temps pour se retrouver nez à nez (enfin si on peut dire) avec une sorte de pieuvre verte et orange qui passa sans un regard et disparut dans l'escalier. Son absence de réaction personnelle le fit rire.

- Après tout, pourquoi pas ?

Il emprunta lui aussi l'escalier, descendant vers les profondeurs. Une musique étrange provenait des sous-sols, un battement de cœur grave qui faisait vibrer les vitres et trembler les marches. En franchissant le rez-de-chaussée, il perçut également des jets de couleurs. De larges taches mauves, orange, rouges ou vertes couraient sur les murs. Il croisa un groupe de créatures bicéphales et dragonesques. L'une d'elles était une femelle, emprisonnée dans un collant de satin qui sublimait ses formes.

- Dommage qu'elle ait trois yeux, soupira-t-il en continuant.

À la place des caves habituelles, alignées comme à la parade, une vaste pièce contenait l'orgie interstellaire. Dans une lumière orangée, une foule hybride se trémoussait sur des accords synthétiques. Au-dessus d'elles, d'un large regard circulaire, un Dieu les contemplait placidement de ses mille yeux de glace. Par réflexe, pour ne pas se faire remarquer car il était le seul à garder forme humaine, il se trémoussa un peu avant de s'éclipser par où il était venu. Il fallait tenter le retour, sans attendre.

Il remonta au quatrième histoire de reprendre ses affaires. C'est là qu'il se heurta au couple de petits vieux, debout dans l'entrée. Il les serra brièvement dans ses bras, heureux de retrouver enfin deux terriens, même s'ils étaient usagés.

- Mais qui êtes-vous, monsieur ? demanda le vieux.

Il s'expliqua : le passage involontaire dans un monde parallèle, les vieilles voitures, le retour aux années 60, l'appartement vieillot, la pieuvre, les extraterrestres rencontrés, etc. Et tout à coup, les deux anciens se tenaient les côtes tellement ils riaient.

- Mais nous sommes toujours en 2024, monsieur. Les voitures d'en bas appartiennent au « Club des vieilles bielles », nous rentrons d'une balade en campagne. La grande salle a toujours été là, c'est celle pour les fête du quartier. Quant aux créatures d'un autre monde, ce sont les membres du club qui se défoulent sur le thème de cette année : « Aux confins de la galaxie ». Non, en fait vous vous êtes simplement trompé d'adresse ! Votre immeuble est deux rues plus loin !

& & &

Les vieux en riaient encore à leur fenêtre quand il sortit la voiture de son emplacement et replongea dans les travaux. Il était en colère contre lui-même, mais passablement soulagé. Au détour d'un carrefour, il vit une Citroën Ami sur le bord du trottoir. Un homme et une femme discutaient paisiblement.

- Ah ! Enfin des gens normaux.

Il stoppa. La femme le regarda s'avancer. Elle avait de beaux cheveux noirs, lissés dans le dos, la taille très fine et un bassin rebondi sous un leggings crème. Lui portait une veste bomber sur un tee-shirt blanc, et un pantalon à bordure sur une paire de tennis sans chaussettes. Avec un grand sourire, il embrassa la femme sur la joue et serra la main du gars. Il partit sur un dernier sourire, rassuré.

- Qu'est-ce qu'il… commença l'homme.

- Je te l'avais bien dit, Zrkxzu12, que ce déguisement était ridicule !

- Mais, j'ai passé deux ans à étudier leurs coutumes ! Et je t'assure, Gaba56pj, que nous sommes à la mode, à 100 % ! Nous aurions dû passer inap-zrgtr-erçus...

- Eh bien c'est raté ! Nous n'avons plus qu'à repartir, espèce de cré-gzuptxw-tin !

L'air penaud, il remonta dans l'Ami. Après s'être assuré de l'absence de témoins, il pressa un bouton au centre du tableau de bord. La Citroën s'inclina. Les fusées Jâa-tho s'allumèrent et elle regagna l'espace en silence…

& & &

Bon, à la place du moka, il aurait pu se faire un « Ka-chaos », mais je n'ai pas osé… (Nda)




Denis Julin - Littérature, nouvelles et polars
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