2025 / St Jean de la Brète / Thème : Ruralité / Recueil
2) Concours 2025 / Ville : Jean de la Brète / thème : Ruralité / Recueil des 12 meilleures
La ruralité m'a toujours passionné (voir "Rédemption"dans mon premier recueil "Meurtres en quinconce", une nouvelle conçue pour mon premier concours à Pauillac en 1998, et qui remporta le premier prix). J'écris beaucoup sur la campagne et son calme qui parfois cache l'orage...
Légende…
« ...la circulation est fortement perturbée sur les axes suivant : autoroute A 20, carrefour de Boisseuil... ». Le commentateur épelait patiemment les endroits occupés par les agriculteurs en colère, les points stratégiques de circulation et même certains rond-points de faible importance…
Le garçon coupa l'émission. Le père ne rentrerait pas avant demain, il avait le champ libre. L'expression l'amusa car c'était vraiment le reflet de la réalité. Il s'avança dans la cour, pénétrant sans hésiter sous le hangar agricole. Le tracteur l'attendait. Il se hissa sur le siège de fer puis actionna le démarreur. Le moteur Simca s'ébroua puis se mit à ronronner. Une vitesse, deux coups de volant, et il se positionna devant le bâtis supportant les socs. Après avoir verrouillé l'attelage, il se mit en route. Le Pony 812 roulait au pas. Il était encore tôt et la brume avait profité de la nuit pour envahir les prés et les sentiers, réduisant fortement la visualisation des obstacles. Après avoir franchi la rivière, le tracteur grimpa vaillamment la côte donnant sur le champ Marcel, du nom du grand-père paternel. C'était une vaste étendue d'herbes folles. La veille, le garçon en avait délimité mentalement une faible partie qu'il avait débroussaillée avant d'en retirer l'excédent. Mauvaises herbes, ronciers, arbrisseaux, tout avait fini en tas au bord du chemin. Ce matin venait l'heure du labo
Le Pony fonctionnait à la perfection. Le garçon avait passé deux mois à remettre en état ce vestige du passé, le premier véhicule agricole acheté par son grand-père en remplacement du Percheron qui prenait de l'âge et perdait en vaillance. La peinture n'était pas tout à fait dans la bonne teinte, pourtant ce nouveau rouge corail lui seyait à ravir. L'engin tirait hardiment sa charge, et les trois socs placés en triangle soulevaient la terre avec facilité, la reposant délicatement sur le côté comme une marchandise de valeur. Tout en observant le travail, le garçon se demandait pourquoi cet endroit avait été délaissé aussi longtemps. Incompatibilité d'humeur entre son père et Marcel ? Il est vrai que l'entêtement était une valeur familiale élevée au rang royal. Il en savait quelque chose. Après avoir brillamment réussi son bac, il avait annoncé qu'il désirait entreprendre des études d'ingénieur. L'agriculture évoluait et de nouvelles techniques apparaissaient, nécessitant de solides connaissances. L'expérience des anciens n'y suffisait plus. Pourtant, le père avait refusé, non par pingrerie, juste parce qu'il estimait plus valorisant d'entretenir un domaine qui reviendrait à lui, son unique fils, plus tard. Mais lui justement n'avait pas dit son dernier mot… Au souvenir de cette brouille, à moins que ce ne soit sous la morsure de l'humidité ambiante, le garçon porta la main à son col pour le refermer. C'est à cet instant que le Pony renâcla.
L'attelage venait d'accrocher quelque chose, une racine, une souche cachée. Le tracteur hésitait. Le garçon accéléra légèrement. L'objet parut céder puis d'un coup bloqua l'élan du Pony. Ce dernier, toujours en prise, les roues crochetant le sol meuble, se dressa soudain comme un cheval furieux, et le conducteur n'eut que le temps de débrayer pour éviter le retournement. Les roues avant reprirent sagement contact avec l'humus tandis que le garçon coupait le contact. Il sauta du siège, examinant les socs. Celui de droite était engagé sous l'obstacle. Ce n'était pas une souche, plutôt un gros tuyau brun couvert de terre. Impossible de reculer, il fallait dégager à la main. Il tira sur l'étançon, sans succès. Seule solution, se faufiler dessous, s'arc-bouter puis profiter de la force des jambes pour lever l'ensemble histoire de le désolidariser de l'obstacle. Il ôta sa veste. En douceur, il se glissa sous la barre métallique, planta les pieds dans le sol puis força sur les cuisses. L'attelage se souleva lentement. Le soc prisonnier racla le tuyau puis se leva d'un coup. Hélas, libéré, l'objet revient vers son emplacement primitif, s'emparant des jambes du garçon. Il n'y avait pas de douleur à proprement parler, juste une pression sur ses mollets, une emprise suffisante pour le retenir prisonnier. Il tenta de bouger ses pieds, en vain. L'objet était lourd, très lourd. Le garçon l'examina plus en détail. C'était en acier, 3 à 4 mètres de long, cylindrique et terminé par un amalgame de plaques tordues. L'esprit du garçon chercha plusieurs secondes une correspondance avec ce qu'il voyait. Soudain il blêmit. Un long frisson le parcourut, un tremblement qui n'avait rien à voir avec la rosée matinale…
Le grand-père au coin du feu… Il se souvenait de l'histoire…
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Le Dornier 217 vira sur son axe, repartant vers le sud-est. Son double empennage était troué comme une passoire et son moteur droit, un Daimler-Benz de 1850 cv, crachait de la fumée comme un volcan en colère. Aux commandes, le major Kauffmann luttait pour conserver de l'altitude. Le bombardier en détresse rasait le bord des nuages, à une centaine de mètres du sol. Sur le siège de droite, le copilote faisait le point.
- Pas assez de carburant pour rentrer, grogna-t-il.
- Et trop lourd pour grimper, résuma le major. Stein, qu'est-ce qui nous reste en soute ?
- Juste une « Satan », herr major. Elle ne s'est pas décrochée.
- Tu peux la larguer en manuel ? On gagnerait du poids.
Sans attendre de réponse, il augmenta un peu le régime du moteur gauche. Le droit cafouillait, mais il tournait encore. L'appareil avait salement dérouillé lors du bombardement, mais il fallait encore qu'il tienne une heure de plus.
- Quel est l'objectif, herr major ? demanda le soutier.
- On s'en fiche de l'objectif ! Il faut nous alléger ! Balance-là n'importe où !
Une secousse. Le Dornier redressa le nez vers le ciel. Sous lui, un point noir allait en diminuant. Il disparut bientôt derrière eux...
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...L'appareil s'était écrasé dans un champ quelques minutes plus tard, sur rupture d'un câble de dérive. Seul le soutier avait survécu et raconté leurs derniers instants. Quand à la bombe, elle n'avait jamais explosé et personne ne l'avait retrouvée. C'était devenu une légende…
Cela ne l'était plus...
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Le garçon mit plusieurs minutes à calmer les battements de son cœur. Délicatement, de la main, il chassa la terre qui souillait l'enveloppe d'acier. Plusieurs chiffres apparurent, à demi rongés par le temps et l'humidité. Une masse tout d'abord, 1800 kg, puis un nom à moitié effacé « Satan ». Le grand-père avait expliqué qu'au delà d'une tonne, les allemands donnaient des noms à leurs bombes. Le garçon ne se souvenait pas de tous, mais la première s'appelait « Herman ». Quant à la dernière, la plus meurtrière, il l'avait sous les yeux. Par curiosité, il l'examina. Le bout était tout écrasé, comme si le projectile était tombé sur l'arrière au lieu de l'avant. Une faible hauteur de largage ? Ceci expliquait pourquoi elle n'avait pas explosé à l'impact. De plus, la terre meuble avait certainement absorbé le choc. Il reporta son regard vers l'extrémité du champ, quémandant de l'aide. La brume s'était levée et le soleil chassait désormais les dernières écharpes d'humidité, reprenant timidement possession du paysage. Un instant, il espéra une présence, un promeneur matinal. Mais nul pas ne foulait le sentier. Il était seul…
Soudain, il s'étonna. La pression sur ses jambes diminuait sensiblement. Écrasée, la terre meuble cédait lentement et la pointe de la bombe s'inclinait vers l'avant. Le soulagement qu'il ressentit fit place à un effroi sans nom, car le percuteur de l'engin se rapprochait sensiblement d'une grosse roche affleurante. S'il la touchait… Il demeura ainsi, tétanisé, ne sachant quoi faire. À chaque instant, le lit de glèbe pouvait s'affaisser et jeter la bombe vers le bas. Ce n'était désormais qu'une question de secondes, une parcelle d'éternité. Il remua doucement les pieds, les mains bien à plat sur le fuselage ocre, comme s'il pouvait le ralentir...
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L'explosion fut perçue à plus de vingt kilomètres de là. Des gens se mirent en marche…
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Le père se tordait les mains sous la table de chêne. Tout était de sa faute ! Son propre père avait vu la bombe tomber, et malgré de prudentes recherches, il n'avait pu déterminer exactement le point de chute. Par sécurité, il avait interdit au fils de travailler ce lieu où désormais la mort guettait patiemment sa proie. Lui, il avait juré. Mais pas son fils, à qui il avait seulement interdit l'endroit… Mais sa faute allait encore plus loin. Au lieu d'alerter les autorités et d'annihiler la menace, il avait préféré attendre et laisser l'endroit vivre sa vie, sans le faire fructifier. Comme pour son fils, à qui il avait interdit la poursuite de ses études sous de futiles motifs… Il leva les yeux vers l'extrémité de la table, indécis sur la conduite à tenir. Au bout de quelques instants, ses lèvres s'agitèrent, timidement au début.
- Comment as-tu fait ?
- Ma veste, murmura le garçon. Je l'ai coincée sous l'engin, cela m'a permis de gagner quelques secondes quand mes pieds sont redevenus libres…
Le père sourit. Son regard s'embuait. Il leva la main.
- Demain, nous nous occuperons de ton dossier d'admission pour l'institut…
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